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état, comme cela serait facile, de se pouvoir fournir amplement de toutes leurs nécessités et même du superflu.

On peut dire même que l'on a des exemples, dans l'Europe, de ce secours mutuel que se sont donné tant ces hommes dénués de tout, que ces terres mal partagées par la nature : leur alliance est un peu et même fort difficile à contracter ; les commencements en sont très-rebutants ; il faut que le travail et la frugalité marchent longtemps du même pied à un très-haut degré ; mais enfin l'un et l'autre viennent à bout de tout, et surpassent même assez souvent en richesse des contrées et des peuples beaucoup plus favorisés du ciel : les barbets vivent commodément dans les rochers des Alpes ; et l'Espagne manque presque de tout dans un pays très-fertile et très-fécond, qui est le plus souvent inculte en quantité d'endroits.

Mais, comme c'est là un chef-d'œuvre de la nature, il faut qu'elle agisse dans toute sa perfection, c'est-à-dire dans toute sa liberté, pour produire de pareils ouvrages : le degré de dérogeance que l'on apporte à l'un, savoir à cette liberté, est aussitôt puni d'une pareille diminution dans l'autre.

Ainsi l'on peut voir, pour finir cet ouvrage, quelle effroyable méprise est de se défier de la libéralité ou de la prudence d'une déesse qui sait procurer des richesses immenses, dans les pays les plus stériles, aux hommes qui veulent bien s'en rapporter à elle pour la fructification de leur travail, pendant qu'elle laisse dans la dernière misère ceux qu'elle avait beaucoup mieux partagés d'abord, mais qui ne lui marquent leur reconnaissance qu'en la voulant réduire dans l'esclavage ; de quoi ils ne viennent jamais à bout, que pour se rendre eux-mêmes plus malheureux que des esclaves.

Cependant elle est si bienfaisante et elle aime si fort les hommes, qu'au premier repentir elle oublie toutes les indignités passées, et les comble par conséquent en un moment de toutes les faveurs, ainsi que l'on a dit.

Il n'est question que de lui donner la liberté, ce qui n'exige pas un plus long temps que dans les affranchissements d'esclaves de l'ancienne Rome, c'est-à-dire un moment, et aussitôt toutes choses reprenant leur proportion de prix, ce qui est absolument nécessaire pour la consommation, c'est-à-dire l'opulence générale, il en résultera une richesse immense.

Le laboureur et le vigneron ne cultiveront plus la terre à perte, et ne seront point par là obligés de la laisser en friche ; et comme ils sont l'un et l'autre les nourriciers de tout le genre humain, ils ne se verront point obligés de déclarer à la plupart des hommes, comme ils font présentement en quelques contrées de l'Europe, qu'il n'y a plus de pain et de vin pour eux, parce qu'ils n'ont pas voulu ou pu payer les frais ordinaires, ou survenus par accident, aux commissionnaires ; ce qu'il ne faut jamais attendre de leur libéralité ou de leur prudence, quand ils devraient tous mourir de faim l'un après l'autre. Ce qui prouve que tout impôt singulier sur une seule denrée est mortel à tout l'État, parce que, tout y étant solidaire, les autres, au lieu de partager le fardeau, le lui laissent tout entier, ce qui les ruine toutes par contrecoup, et manque d'intelligence ; au lieu que les impôts personnels par rapport aux facultés générales de chaque sujet, se répandent et se partagent sur toute la masse, et font l'impartition de la charge au sou la livre sur chaque denrée, qui est absolument nécessaire pour le commun maintien, et qu'il ne faut jamais attendre de la prudence et de la raison des particuliers qui ne