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Il ne faut qu'un moment pour changer tout à coup cette malheureuse situation, décrite dans le Mémoire des mauvais effets de l'argent criminel, en un état très-heureux.

Il n'est pas question d'agir, il est nécessaire seulement de cesser d'agir avec une très-grande violence que l'on fait à la nature, qui tend toujours à la liberté et à la perfection.

Comme il n'y a que de la surprise à l'égard de ces désordres, tant dans les princes que leurs ministres, qui ont toujours été bien été intentionnés, leur simple changement de volonté sera la fin de tout le mal, et le commencement d'une opulence générale, et de celle du souverain, par conséquent.

Ils n'ont qu'à souffrir que chaque particulier soit personnellement le fermier du prince à son égard, et que le prix de ce bail n'excède pas la valeur de la ferme ; ce qui arrivant, et ce qui n'est pas inconnu, un fermier ne peut que prendre la fuite et laisser la terre en friche, par où le prince perd pour le moins autant que lui.

Bien loin qu'après qu'un malheureux alambic a fait évaporer une quantité effroyable de biens et de denrées pour former ce fatal précis à son maître, l'impôt perdu par le prince sur les biens anéantis soit remplacé par ceux qui ont causé ce dépérissement, ce qui ne serait pas même à leur pouvoir, c'est justement le contraire, puisqu'ils ne payent pas même leur quote-part d'une juste contribution par rapport à ce qui reste de biens en essence en leurs mains, par cette malheureuse coutume, que la quantité de facultés est une sauvegarde contre les impôts dus au prince, qui ne doivent être exigés ou payés que par ceux qui s'en trouvent et en doivent être accablés.

Ainsi l'on voit la perte effroyable qui résulte à un souverain de cette conduite ; mais ce n'est pas tout, ou plutôt ce n'est que la moindre partie du désastre qu'il souffre ; et pour le vérifier, il faut rappeler ce qu'on a dit ci-devant, savoir qu'un écu chez un pauvre ou un très-menu commerçant fait cent fois plus d'effet, ou plutôt de revenu, que chez un riche, par le renouvellement continuel et journalier que souffre cette modique somme chez l'un ; ce qui n'arrive pas à l'égard de l'autre, dans les coffres duquel des quantités bien plus grandes d'argent demeurent des mois et des années entières oiseuses, et par conséquent inutiles, soit par corruption de coeur aveuglé par l'avarice, ou dans l'attente d'un marché plus considérable.

Or, sur cette garde, le roi ou le corps de l'État ne retirent aucune utilité, et ce sont autant de larcins que l'on fait à l'un et à l'autre.

Mais cette somme, comme de mille écus, départie à mille menues gens, aurait fait cent mille mains dans un moindre temps qu'elle n'a résidé dans les coffres de ce riche, ce qui n'aurait pu arriver qu'en faisant par conséquent pour cent mille écus de consommation ; le prince en aurait eu et reçu la dixième partie pour sa part, c'est-à-dire qu'il eût reçu la valeur de dix mille écus sur une somme à l'égard de laquelle il ne reçoit pas un denier par le dérangement de l'usage que l'on en fait, et que l'on augmente et fomente tous les jours, en lui persuadant faussement que c'est pour son utilité particulière que l'on ruine également lui et ses peuples.