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échange le surplus de son nécessaire contre tout le reste de ses besoins ou de ses désirs.

Car enfin, quelque justice qu'il y ait dans les tributs dûs aux princes, il serait impossible aux peuples de s'en acquitter s'ils ne trouvaient leur subsistance dans les moyens que l'on prend, ou qu'on leur fait prendre pour y satisfaire ; et il faut même que cette subsistance précède toutes sortes de payements, par une justice qu'on doit jusqu'aux bêtes, et dont Dieu fait mention dans la première loi qu'il donna aux hommes.

Le maître d'un cheval de voiture lui donne sa nourriture, avant que de prendre le profit qu'il tire de son service, ou bien il le perdra absolument ; ce qui ne manquera pas de le ruiner, sans que personne le plaigne ni doute de la cause de sa désolation, qu'il s'est attirée par son imprudence.

Qu'un prince en use de même, lorsqu'il est maître d'un pays naturellement fécond, et que le peuple est laborieux, et rien ne lui manquera.

La supposition ou la pratique du contraire sont un outrage à la religion, à l'humanité, à la justice, à la politique, et à la raison la plus grossière.

Pourquoi donc, dans une contrée naturellement très-fertile, voit-on un souverain qui n'a pas des armées aussi nombreuses et aussi bien entretenues qu'il serait à souhaiter, et que ses besoins sembleraient exiger ? C'est parce qu'il n'a pas assez de pain, de vin, de viande, et enfin de tout le reste à départir.

Et pourquoi ce défaut ? C'est que les terres de son royaume, qui produiraient amplement toutes ces denrées, sont en friche et très-mal cultivées.

Et pourquoi enfin ce désordre ? C'est parce qu'on a lié la bouche, non-seulement aux bêtes, mais aux hommes, contre le précepte divin, pendant qu'ils travaillaient dans le champ.

On leur a refusé leur vie et leur subsistance, et ils ont abandonné le travail.

Qui a fait ce beau ménage ? Ce sont les sacrificateurs et les prêtres de cette idole, l'argent.

Il n'a qu'une concurrence à l'égard du prince avec les autres denrées, et il ne doit être que leur esclave ou leur porteur de procuration pour la garantie de la tradition future de l'échange, tant envers le prince qu'entre les particuliers, qui n'ont qu'un seul et même intérêt ; mais il s'en faut beaucoup que les prêtres de cette idole le regardent de même œil.

Toutes ces sources d'armées et de flottes, ou plutôt de maintien de l'opulence publique, ne sont que des victimes qu'il faut brûler nuit et jour à cet autel ; et non content des fruits, il faut que les fonds prennent une semblable route et soient immolés à ce dieu, comme il n'est que trop public en quelques contrées de l'Europe.

Il y a donc de l'argent bienfaisant, soumis aux ordres de sa vocation dans le monde, toujours prêt à rendre service au commerce, sans qu'il soit besoin de lui faire la moindre violence, pourvu que l'on ne le dérange pas et que, devant être à la suite de la consommation, ainsi qu'un valet à celle de son maître, on ne le veuille pas faire passer devant, ou plutôt en former un vautour qui la dévore complètement.

Tant qu'il demeure dans ces bornes, non-seulement il ne la déconcerte pas, mais même il la fomente et la fait fleurir ; et, bien loin de refuser son secours et que l'on puisse jamais en avoir disette, la célérité avec laquelle il marche fait qu'on le peut voir en un moment dans cent lieux différents ; et quand cela ne suffit pas, il souffre tranquillement la concurrence, et même la préférence que l'on donne à un morceau de papier ou de parchemin sur lui, n'y ayant aussi presque aucunes denrées qui ne le remplacent avec équivalence par le prix soutenu de leur valeur.

Mais il y a de l'argent criminel, parce qu'il a voulu être un dieu au lieu d'un esclave, qui, après avoir déclaré la guerre aux particuliers, ou plutôt à tout le