Page:Daire - Économistes financiers du XVIIIe siècle, 1843.djvu/432

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le crime donc et les anéantissements de fruits ne leur étant pas nécessaires pour recevoir de l'argent, ni n'en voulant point faire non plus un usage criminel, il s'en faut beaucoup que ce métal soit ou doive être une idole chez eux, comme il est chez des sujets qui n'ont point d'autre ressource que le crime pour finir leur misère, et à qui encore une fois les horreurs générales sont fort indifférentes quand elles font leur fortune particulière.

Ce n'est donc ni leur intérêt ni leur volonté que les terres demeurent en friche, les fruits les plus précieux à l'abandon, par l'avilissement où ils se trouvent dans certaines contrées, pendant que d'autres en manquent tout à fait, qui souffrent le même sort à l'égard d'autres denrées singulières, qu'elles eussent données en contre-échange, par une compensation réciproque qui, de deux extrémités très-défectueuses, aurait formé deux situations parfaites, s'il n'y avait eu que les intérêts des particuliers et ceux du prince à ménager.

Mais les sujets, qui ne peuvent vivre et s'enrichir que de précis, mettent tous ces biens dans un alambic et en font évaporer en fumée dix-neuf parts sur vingt ; et de cette vingtième, en donnant une partie au prince, ils croient non-seulement s'être bien acquittés de leur devoir, mais même que ce sont eux qui font subsister son Etat, et que sans ce précieux secours, tout serait perdu.

On se met un bandeau devant les yeux, pour supposer que la garantie ou le ministère personnel de gens qui n'ont rien absolument d'eux-mêmes, est d'une nécessité indispensable pour faire payer ceux qui possèdent tout, et que ce cruel service ne peut jamais être acheté à un assez haut prix.

Et ce qui renchérit encore par là-dessus, et fait en quelque manière honte aux lumières de l'homme, est que, n'étant pas douteux que le prince ne veuille avoir de l'argent que pour avoir des denrées, comme pareillement que ses sujets ne les lui peuvent fournir que par la vente des produits dont ils sont propriétaires, ainsi que l'on a dit tant de fois, on souffre néanmoins tranquillement, et on regarde même avec admiration des moyens lesquels, pour parvenir à cette fin, abîment vingt fois autant de toutes choses qu'ils en mettent à profit.

On regarde comme une vision creuse ou une fable ce que l'on vient de marquer, savoir qu'un souverain n'a du bien qu'autant que ses sujets en possèdent, et qu'ils ne lui feront jamais part de ce qui n'est point en leurs mains, ou n'est ni consommé ni vendu, étant défendu par la nature de donner ce que l'on n'a point, ou qui est anéanti, comme il arrive à tout ce qui ne peut être vendu, ou qui l'est avec perte du marchand.

S'ils ont beaucoup de blés par la culture de quantité de terres, rendue possible par un prix de grains qui supporte les charges et les frais, le prince assurément aura de quoi donner du pain à quantité de troupes. De même du vin, des habits, de la viande, des chevaux, des cordages, des bois de charpente, des métaux dont on construit toutes sortes d'armes, et enfin toutes les espèces dont on lève et entretient toutes les armées de terre et de mer, lesquelles choses ne reçoivent leur naissance, leurs bornes et leur durée, que, du degré de pouvoir plus ou moins, que le pays a non-seulement de les produire, mais de les consommer, qui est seul ce qui fait tirer ces biens des entrailles de la terre, parce qu'il faut que les particuliers en absorbent pour leur usage dix fois plus que le souverain, si l'on veut que cette redevance soit de durée ; et si le prince a besoin d'une quantité de denrées, comme des matières dont on construit les vaisseaux et arments, dans un degré qui excède la proportion de consommation dans ses sujets, en sorte qu'il lui en faille davantage qu'une partie de leur usage ordinaire, cela se remplace par le change qu'il fait et peut faire d'autres choses qu'il reçoit en plus haut degré qu'il ne lui en faut ; et il prendra, par exemple, toute la fonte d'un ouvrier qui ne travaillera que pour le prince seul, parce que lui seul lui payera toute sa dépense à l'aide de ce qu'il a d'excédent d'autres redevances qu'il ne peut consommer : tout de même qu'un particulier qui n'a que du blé, comme c'est en très-grande quantité,