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L'intérêt que tous les hommes ont en particulier de combattre une pareille situation, et d'en sortir lorsqu'ils s'y trouvent malheureusement enveloppés, est augmenté dans les princes à proportion de leur élévation, qui n'est absolument autre au sou la livre que celle de tous leurs sujets en général ; et c'est ce que l'on fera voir dans le chapitre suivant.

Chapitre VI

Des conséquences désastreuses qu'entraîne pour le prince, ou pour l'État, la prépondérance de l'argent sur les richesses naturelles. -- Ce n'est pas avec de l'argent, en réalité, que le souverain entretient les armées de terre et de mer, et rétribue tous les services publics. -- Nécessité de demander à la terre tout ce qu'elle peut produire, et de ne pas refuser des moyens de subsistance aux travailleurs, puisque la richesse, et l'impôt par conséquent, n'ont d'autres principes que la terre et le travail de l'homme. -- Opposition des intérêts du souverain et des gens de finances. -- L'argent bienfaisant et l'argent criminel. -- Le retour aux lois de la justice et de la raison rétablirait immédiatement l'harmonie sociale. -- Double tableau des effets contraires de l'ordre et du désordre économiques. -- Conclusion de ce Mémoire.

Les princes dans les États desquels se passe ce dérangement, ou plutôt ce bouleversement de la nature de l'argent, qui met tout en combustion, et en quelque manière rez-pierre rez-terre, sont constamment les plus malheureux.

Comme cela ne se peut opérer et ne s'opère même que par des intérêts indirects, qui n'ont pas un droit naturel à la chose, les sujets se mettent peu en peine de ce que doit coûter à tout un corps d'État un bien qu'ils n'auraient pu jamais acquérir d'une façon légitime.

Mais il s'en faut beaucoup que l'on doive faire le même raisonnement des souverains : non-seulement ils n'ont pas besoin de crime pour acquérir et subsister, leur maintien étant de droit divin et humain, mais même toutes les pertes que les particuliers souffrent, ou plutôt tout le corps d'État, pour former par une infinité d'anéantissements ces précis criminels, retombent sur leur propre personne.

Ils sont les premiers propriétaires et les possesseurs éminents, en termes de philosophie, de tous les fonds, et sont riches ou pauvres à proportion qu'ils sont en valeur.

C'est de la part qu'on leur fait des fruits qu'ils soutiennent leur grandeur et entretiennent leurs armées, et non pas de la destruction de toutes ces choses, comme l'on a malheureusement pratiqué en quelques contrées.

Ainsi un écu, à leur égard, ne vaut jamais qu'autant qu'eux ou ceux qui sont à leur solde, s'en peuvent procurer de pain, de vin ou des autres denrées ; et sans les incommodités du transport, ils seraient tout disposés à donner la préférence à ces choses en essence, pour lesquelles seules ils veulent avoir de l'argent, et savent bien pareillement que leurs sujets ne leur en peuvent donner que par le débit de ces mêmes denrées.