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Ils sont donc à plaindre, tant par rapport à eux qu'aux autres conditions que cela dérange et anéantit pareillement par contre-coup, attendu encore une fois, qu'il en est d'un genre de métier comme de l'empereur Auguste, qu'il ne doit jamais être reçu, ou qu'il ne le faut jamais congédier ; l'ouvrier du superflu achetant son nécessaire de celui qui lui donnait sa vie à gagner, et soutenant par là le prix des denrées du laboureur, ce qui seul le peut faire payer son maître, et mettre celui-là en pouvoir d'acheter de cet ouvrier.

Mais si quelque chose diminue la pitié qu'on pourrait avoir d'eux, ou plutôt pour entrer dans la discussion de la cause de leur congé, on peut assurer que ce sont eux-mêmes qui se le procurent, et qu'ils se creusent tous le tombeau où ils sont enterrés.

On a dit, comme c'est la vérité, que ce sont les fruits de la terre, et principalement les blés, qui mettent toutes les professions sur pied : or, leur production n'est ni l'effet du hasard ni un présent gratuit de la nature, c'est une suite d'un travail continuel et de frais achetés à prix d'argent, cette manne primitive et nécessaire n'étant abondante qu'à proportion qu'on est libéral pour n'y rien épargner, refusant entièrement tout à qui ne lui veut rien donner.

Or, il y a une attention à faire, qui est que les propriétaires des fonds, quoique paraissant les mieux partagés de la fortune, comme les maîtres absolus de tous les moyens de subsistance, ne sont au contraire que les commissionnaires et les facteurs de toutes les autres professions, jusqu'aux comédiens, et comptent avec elles tous les jours de clerc à maître ; et si un cordonnier ne peut vivre sans pain, qu'il ne recueille pas assurément sur des fonds qu'il ne possède point, un possesseur de terre ne saurait marcher sans souliers, et ainsi des autres.

Ces propriétaires, dis-je, donnent à chaque moment un mémoire des frais déboursés pour cultiver les fonds dont les métiers d'industrie sont soutenus et nourris : si leur dépense est allouée, comme il arrive lorsque les blés sont à un prix qui puisse supporter leurs frais avec des appointements honnêtes pour le facteur, le ménage continue, et chacun vit tranquillement dans sa profession, sans que qui que ce soit songe à prendre congé de l'autre.

Mais si par malheur le contraire arrive, et que l'abaissement du prix des grains (ce qui n'est pas présentement inconnu dans l'Europe) ne puisse atteindre aux frais de la culture, lesquels, une fois contractés, ne baissent jamais tout à coup comme font les blés, ne pouvant alors dédommager le pourvoyeur de sa dépense faite, ainsi que satisfaire au payement de ses appointements ; celui-ci n'est non plus en état de continuer à nourrir tout un peuple que les boulangers d'une ville qu'on obligerait de tenir leurs boutiques fournies, ayant le prix du pain au-dessous de celui des grains.

Voilà la cause du désordre et le principe de la querelle qui, augmentant toujours à la longue, comme une pelote de neige ou comme un chancre, forme une extrême misère au milieu de l'abondance de toutes choses.

Un comédien se réjouit, ainsi que tous les autres, c'est-à-dire tous les métiers, d'avoir par une grâce spéciale du ciel, à ce qu'il croit, le pain à très-grand marché, et que pour un sou il en recouvre autant qu'il en peut consommer en toute sa journée ; s'il lui en fallait pour deux sous, il ne serait pas dans cette joie.

Mais il ne voit pas, le malheureux qu'il est, ainsi que l'on a dit, qu'il se creuse son tombeau, et que le facteur et le propriétaire de fonds, n'étant plus payé de ses frais et de ses appointements par son fermier, avec qui il ne forme qu'un intérêt, est obligé de se retrancher, et que commençant par le superflu, le comédien se trouve à la tête, et cessera par là de gagner un écu par jour, parce qu'il a voulu et s'est réjoui de gagner un sou sur son pain.

Ce qu'il y a de merveilleux est qu'après cela l'un et l'autre, tant le comédien que celui qui allait au spectacle, jouent à qui pis faire et à qui s'entre-détruira