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quantité à la fois, il n'y a point de denrée, pour si déplorée qu'elle soit, pourvu qu'elle soit de mise, soit meuble ou immeuble, à laquelle on ne donne la préférence.

Comme il n'est et ne doit être que le gage de la tradition future, quand elle ne s'effectue pas sur-le-champ, et qu'il ne réside ou n'apparaît pas assez de solvabilité dans l'acheteur, pour la garantie par sa parole ou par son billet, sans quoi on préférerait cette voie au service de ce métal ; ne se rencontrant presque personne qui ait besoin de cette caution, par la valeur soutenue de toutes les denrées personnelles, cela les met hors de cette nécessité ; et c'est alors une conséquence indubitable que ce métal soit remercié presque par tout le monde.

Ainsi, étant absolument inutile au commerce, il est obligé, pour ne pas demeurer à rien faire, d'offrir son service au ménage et à la magnificence, et d'avoir recours à l'orfèvre et aux autres ouvrages ; ce qui n'est encore que le moindre désordre, car il est dans l'attente qu'on ait besoin de lui, auquel cas il est toujours prêt à bien faire, encore que ce secours ne puisse être imploré sans que l'État soit malade, et d'une si épouvantable indisposition, que, si elle était longue, le remède serait de moindre durée que le mal, dont on connaît l'extrémité par la recherche ou la cherté où l'or et l'argent se trouvent.

Dans l'autre situation, savoir celle de l'opulence, il est la dernière des denrées, et dans la disette, il est non seulement la première, mais même presque l'unique ; dans le premier état, il n'y a que les indigents qui lui fassent la cour, et à qui il soit absolument nécessaire, étant même seuls au désespoir d'être dans cette servitude, et faisant tous leurs efforts pour en sortir ; et dans l'autre, les plus riches en ont à peine autant qu'il leur en faut, ce qui réduit toutes les autres conditions dans la dernière extrémité.

Cette disposition, qui est une maladie très-dangereuse dans un État, n'est causée que par le déconcertement du prix des denrées, qui doit être toujours proportionné, n'y ayant que cette intelligence qui les puisse faire vivre ensemble, pour se donner à tous moments, et recevoir réciproquement la naissance les unes des autres.

Mais, comme leur dissension, et par conséquent la misère, n'est pas une chose fort inconnue dans l'Europe, il faut examiner qui a le premier commencé la querelle, et par où le désordre s'est introduit.

On a dit dans ces Mémoires, que ces deux cents professions qui composent la perfection des États les plus polis et les mieux partagés par la nature, sont tous enfants des fruits de la terre ; que le plus ou le moins qu'elle est en état d'en produire avec abondance, et de faire consommer, sans quoi l'excroissance devient inutile et même à perte, est ce qui leur donne naissance, en commençant par le plus nécessaire, comme le boulanger et le tailleur, et finissant par le comédien, qui est le dernier ouvrage du luxe et la plus haute marque d'un excès du superflu, puisqu'il ne consiste qu'à flatter les oreilles, et réjouir l'esprit par un simple récit de fictions que l'on sait bien n'avoir jamais eu de réalité ; en sorte qu'on est si fort hors de crainte de manquer du nécessaire que l'on achète avec plaisir la représentation du mensonge, comme il arrive dans ces occasions.

Ainsi quand l'état contraire, c'est-à-dire la misère, vient à s'introduire et à vouloir prendre la place de cet état florissant, c'est par cette profession que l'on commence la réforme, comme c'était par elle que l'on avait fini l'acquisition du superflu.

Cependant, comme ce n'est pas de son consentement, puisque ce congé envoie ces rois de théâtre personnellement à l'hôpital, et que ce retranchement ne s'en tient pas singulièrement à ces gens-là, faisant bien d'autres progrès toujours par degrés, cela ne peut arriver sans déconcerter tout un pays ou plutôt toutes les professions, par les raisons qu'on a marquées.