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de la prudence et de la politique la plus consommée, la valeur de quarante muids de vin sur une pièce de vigne qui n'en a produit que trente, et celle de trois cents pintes de vin sur une futaille qui n'en contient que deux cents ; en sorte que l'abandon entier qu'on en peut faire ne puisse point acquitter le marchand, et qu'il faut que sa personne et ses autres biens répondent du surplus, ce qui n'est pas absolument sans exemple en quelques contrées de l'Europe, et est un mal contre lequel on n'a point trouvé d'autre remède que de renoncer à la culture de la denrée en question, afin d'en être quitte par la perte de ce seul genre de biens, ce qui va dans plusieurs contrées à des centaines de millions par an ; et par dessus cela, le mal, se recommuniquant à toutes les autres espèces par une solidarité d'intérêts qu'elles ont entre elles, fait que cette même destinée gagne à peu près tous les autres genres de biens ; et voilà d'où procèdent ce grand déchet et cette épouvantable diminution arrivée à toutes choses, tant meubles qu'immeubles, dans ces mêmes pays. L'argent y a transgressé ses bornes naturelles d'une façon effroyable, il a pris un prix de préférence sur toutes les autres denrées avec lesquelles il doit être seulement en concurrence pour conserver l'harmonie d'un État, c'est-à-dire une opulence générale, ce qui fait que, bien loin de servir à faciliter le trafic et l'échange des besoins de la vie, il en devient le tyran et le vautour, s'en faisant immoler tous les jours des quantités effroyables par un pur anéantissement, pour procurer très peu de ce métal par rapport à ce qu'il en coûte à tout le corps de l'État, à des entrepreneurs qui le possèdent moins innocemment que des voleurs de grands chemins, bien qu'ils ne pensent rien moins, attendu que les désastres que cette acquisition cause l'emportent de vingt fois sur les autres, quelque grands et quelque violents qu'ils soient.

Chapitre IV

En quoi consiste la véritable richesse. -- Utilité réciproque que tirent les unes des autres toutes les professions de la vie sociale. -- Tout vendeur doit être acheteur, et vice versâ : nécessité, dans l'intérêt général que tout échange profite aux deux parties entre lesquelles il a lieu. -- Ce résultat, de même que le perfectionnement de l'industrie, ne peut être amené que par la concurrence et la liberté des producteurs. -- Importance de l'équilibre proportionnel dans le prix courant des marchandises de toute nature, et des productions de la terre principalement. -- Influence de cet équilibre sur la demande de la monnaie. -- Conséquences désastreuses de l'avilissement du prix des blés.

On a dit en général, au commencement de ces Mémoires, en quoi consistait la véritable richesse, savoir en une jouissance entière, non seulement des besoins de la vie, mais même de tout le superflu et de tout ce qui peut faire plaisir à la sensualité, sur laquelle la corruption du coeur invente et raffine tous les jours ; le tout néanmoins, dans toutes sortes d'états, à proportion que l'excès du nécessaire met en pouvoir de se procurer ce qui ne l'est pas à beaucoup près.

C'est ce qui fait que dans l'enfance ou l'innocence du monde, que l'homme était riche par la seule jouissance des simples besoins, il n'y avait de l'emploi que pour trois ou quatre professions ; ce qui se pratique encore en quantité de pays mal partagés par la nature du côté du terroir ou de l'esprit.

Mais aujourd'hui, dans les contrées, où des dispositions contraires ont porté