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lui est une procuration, avec garantie, que son intention sera effectuée en quelque lieu que se trouve le marchand, et cela pour autant, et sur un prix courant et proportionné à ce qu'il s'est dessaisi les mains de la denrée dont il était propriétaire : voilà donc l'unique fonction de l'argent ; et chaque degré de dérogeance qu'on y admet, quoiqu'elle se voie aujourd'hui à un excès effroyable, est autant de déchet à la félicité d'un État.

En effet, tant qu'il s'en tient là, non-seulement il n'y a rien de gâté, mais bien loin d'être obligé de lui sacrifier tous les jours tant de victimes afin de le recouvrer, pour peu qu'il fît le rebelle, si les hommes s'entr'entendaient, il serait aisé de lui donner son congé ; ce qui lui arrive même à chaque moment en une infinité d'occasions, quoiqu'on n'y prenne pas garde.

Comme il n'est tout au plus, ainsi qu'on vient de dire, qu'une garantie de la livraison future d'une denrée qu'on ne reçoit pas immédiatement en vendant celle que l'on possède, du moment qu'elle se peut procurer sans son ministère, il sera obligé de renfermer tout son orgueil à demeurer absolument inutile et immobile.

Le cuivre et le bronze, dont on fait de la monnaie pour des sommes considérables, ne le remplacent-ils pas ? N'en a-t-on pas fait souvent de cuir, dans certaines occasions, qui, avec la marque du prince, qui ne coûte rien, a la même vertu, et même davantage, puisqu'elle a procuré les besoins de la vie plus qu'en ont jamais fait les piles d'argent au Pérou et au Nouveau-Monde ?

Aux îles Maldives, où les peuples ne sont point du tout barbares, étant même polis et magnifiques, comme on peut voir par les relations, de certaines coquilles, qui se donnent par petits sacs, ont le même pouvoir, et procurent la même certitude de livraison future de ce qu'on veut ou voudra avoir, que font l'or et l'argent partout ailleurs où ils sont en vogue, bien que ces îles n'en soient pas même destituées, et qu'elles ne laissent pas pour cela d'en souffrir tranquillement la concurrence avec des matières aussi abjectes que sont des coquilles.

Les îles de l'Amérique ont été longtemps, quoiqu'abondantes en argent, sans en connaître l'usage dans le trafic journalier, même parmi les nations de l'Europe qui les habitaient, bien que les peuples ne manquassent d'aucun de leurs besoins qu'ils construisaient dessus le lieu, ou qu'on leur apportait abondamment de l'ancien monde.

Le tabac seul faisait tout le trafic, ainsi que la fonction de l'argent, tant en gros qu'en détail : si l'on voulait avoir pour un sou de pain et même moins, on donnait pour autant de ce fruit de la terre, qui avait un prix fixe et certain, sur lequel il n'y avait non plus de contestation que sur la monnaie courante, en quelque pays que ce soit ; et cependant avec tout cela, le nécessaire, le commode et le magnifique n'y manquaient non plus qu'ailleurs.

Mais qu'est-il nécessaire d'aller si loin chercher des exemples pour vérifier cette doctrine, que c'est une erreur grossière de regarder l'or et l'argent comme le principe unique de la richesse, et de la félicité de la vie ?

Nous avons dans l'Europe, et on le pratique même tous les jours, un moyen bien plus facile et à bien meilleur marché pour mettre ces métaux à la raison, et, détruisant leur usurpation, les renfermer dans leurs véritables bornes, qui sont d'être valets et esclaves du commerce uniquement, et non les tyrans, et cela en leur donnant pour concurrents non du cuivre, non des coquilles, non du tabac, comme dans les lieux mentionnés, qui coûtent de la peine et du travail à recouvrer, mais un simple morceau de papier, qui ne coûte rien, et remplace néanmoins toutes les fonctions de l'argent pour des quantités de millions, une infinité de fois, c'est-à-dire par autant de mains qu'il passe, tant que ces métaux ne sortent point de leur état naturel, et des principes qui les ont fait appeler dans le monde.

On demande donc à toute la nation polie, si prévenue des maximes régnantes, et qui ignore absolument la pratique et l'usage du commerce qui fait subsister