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homme riche et opulent : elles n'en forment qu'un misérable, comme l'on peut voir par les exemples que l'on vient de citer ; ce qui se vérifie tous les jours encore par le parallèle de ce qui se passe au pays des mines, où cinquante écus à dépenser par jour font vivre un homme moins commodément qu'il ne ferait en Hongrie avec huit ou dix sous, qui suffisent presque pour jouir abondamment de tous les besoins nécessaires et agréables. On voit par cette vérité, qui est incontestable, qu'il s'en faut beaucoup qu'il suffise pour être riche de posséder un grand domaine et une très-grande quantité de métaux précieux, qui ne peuvent que laisser périr misérablement leur possesseur, quand l'un n'est point cultivé ; et l'autre ne se peut échanger contre les besoins immédiats de la vie, comme la nourriture et les vêtements, desquels personne ne saurait se passer. Ce sont donc eux seuls qu'il faut appeler richesses ; et c'est le nom que leur donna le créateur lorsqu'il en mit le premier homme en possession après l'avoir formé : ce ne furent point l'or ni l'argent qui reçurent ce titre d'opulence, puisqu'ils ne furent en usage que longtemps après, c'est-à-dire tant que l'innocence, au moins suivant les lois de la nature, subsista parmi les habitants du globe, et les degrés de dérogeance à cette disposition ont été ceux de l'augmentation de la misère générale. On a fait, encore une fois, une idole de ces métaux ; et laissant là l'objet et l'intention pour lesquels ils avaient été appelés dans le commerce, savoir pour y servir de gages dans l'échange et la tradition réciproque des denrées, lorsqu'elle ne se put plus faire immédiatement à cause de leur multiplication, on les a presque quittés de ce service pour en former des divinités à qui on a sacrifié et sacrifie tous les jours plus de biens et de besoins précieux, et même d'hommes, que jamais l'aveugle antiquité jamais n'en immola à ces fausses divinités qui ont si longtemps formé tout le culte et toute la religion de la plus grande partie des peuples. Ainsi, il est à propos de faire un chapitre particulier de l'or et de l'argent, pour montrer par où ce désordre est entré dans le monde, où il a fait un si grand ravage, surtout dans ces derniers temps, que jamais ceux des nations les plus barbares dans leurs plus grandes inondations n'en approchèrent, quelque description épouvantable que l'on en trouve chez les historiens. On espère qu'après la découverte de la source du mal, il y aura moins de chemin à faire pour arriver au remède, et que cela pourra porter les hommes à revenir de leur aveuglement, d'anéantir tous les jours une infinité de biens, de fruits de la terre, et de commodités de la vie, seules propres à faire subsister l'homme, pour recouvrer une denrée qui, n'étant absolument d'aucun usage par elle-même, n'avait été appelée au service des hommes que pour faciliter l'échange et le trafic, ainsi qu'on a déjà dit. On espère qu'après cette vérification de ce fait incontestable, que la misère des peuples ne vient que de ce qu'on a fait un maître, ou plutôt un tyran, de ce qui était un esclave, on quittera cette erreur, et rétablissant les choses dans leur état naturel, la fin de cette révolte sera celle de la désolation publique.