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LE VERGER

visqueux, et se détendait dans un bruit de succion. Les canots, tirés de sous les aunes par Ado, laissèrent derrière eux le fouillis des joncs, où les rainettes apeurées avaient repris leur coassement. Les grenouilles chantent la nuit sur la grève de l’île, et André les entend qui dort dans la grande chambre aux deux fenêtres, derrière les cils baissés des persiennes, près du lit vide de son frère.

Le lendemain était un dimanche. Au petit matin, le rire frileux du huard éveilla Jacques sous les couvertures, entre les draps qui embaumaient le sapin. Un plein jour opalin cherchait où se poser, et des écharpes de brume plaquaient des bancs de neige aux flancs des Laurentides ; les rayons dorés qui couronnaient les sommets descendaient vers les lacs et de grosses gouttes dégoulinaient du toit.

Jacques serait seul. Il ne verrait pas Madame Richard s’apprêter pour la messe dans le bourdonnement joyeux du Verger ; il y aurait de la musique à la Saulaie ce soir. Cette pensée faisait mal comme le premier réveil dans le dortoir de septembre. Jacques ne redoutait pas la solitude, il avait toujours tâché de l’estimer à son juste prix, mais ce matin, la solitude qui tenaillait le jeune homme paraissait vide de toute promesse. Il ne dirait jamais qu’il souffrait ; ça ressemblait trop aux livres. Et ce n’était, après tout, qu’une petite fille qui le tourmentait ainsi. Car le malaise d’hier s’était précisé au cours de la nuit. Maurice, les mains sous la nuque, regardait de son oreiller le jeune homme à la fenêtre.

— Nous y allons ?