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loux de la ravine et des billes pourries s’effondraient sous les semelles cloutées. Le chemin qui allait se rétrécissant tourna au nord et reprit sa montée pénible vers le col.

Jacques marchait les dents serrées, prêt à toutes les courbatures pour noyer dans le sommeil le poids de son amertume. Et peut-être, malgré tout, la délivrance l’attendait-elle au bout de ce sentier interminable. Dans la sente que les branchages et la nuit étouffaient, ils avaient renoncé à voir et serraient en silence l’ombre qui se mouvait devant eux. Des gaulis les griffaient au visage qu’ils n’avaient plus le désir d’écarter ; la fatigue leur raidissait les reins, et quand ils se relevaient d’une chute dans l’obscurité, leurs mains glissaient sur les troncs poisseux des bourbiers.

— Un dernier coup de cœur, la compagnie !

La pente cédait sous les bottes ; la ramée se troua, les sous-bois bleuirent et sur les souches brilla la blancheur crémeuse des fongosités.

— Nous aurons de la clarté pour passer le marais, dit Monsieur Legendre.

Il était en nage, et ses yeux ronds reflétaient le firmament entre les cônes givrés des épinettes. Jacques sentit le regard de Maurice se poser sur lui, et pour donner le change, pensa tout haut :

— Comme les étoiles sont lointaines !

Il fallait tendre le cou pour les voir. Et telle était l’immensité de ce ciel nordique qu’au-dessous, la forêt, un instant triomphante, rampait comme les pousses des buissons. Ils foulèrent bientôt un chemin plat qui ployait sous les bottes, comme un matelas