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chapitre premier

LE PARADIS PERDU


Les yeux encore remplis d’obscurité, Jacques entrait au Verger par la porte de service ; Marie, la vieille cuisinière des Richard, somnolait sur le journal du matin. La vieille Marie n’aime pas qu’on entre par sa cuisine. Jacques lui dit bonsoir et, sans bruit, écarte la portière qui sépare l’office du corridor. Sur la pointe des pieds, dans la noirceur retrouvée, il gravit le grand escalier de pin blanc. Du salon montent jusqu’à lui les exclamations des joueurs de whist, le friselis des cartes sur le tapis et le roucoulement de Madame Legendre :

— Mon doux, Monsieur Richard, que je n’ai pas de jeu !

À tout prix, éviter les Legendre, pense Jacques. Au Verger, il ne faut jamais médire des Legendre et, depuis quelque temps, moins que jamais. Monsieur Legendre est le conseiller juridique des deux frères Richard dans leur fabrique de chaussures, rue Saint-Vallier, et une négociation difficile alors en cours exige qu’on le respecte. Jacques ne médit pas, car Monsieur