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LE VERGER

Mais sa médiation ne s’exerçait pas souvent, au début des vacances surtout, lorsque les garçons, selon Monsieur Richard, revenaient de la caserne avec des mots et des manières par trop cavalières. D’ailleurs le père de Jacques connaît son métier ; Guy, l’adversaire des paroles inutiles, a rarement entendu son père épiloguer à contre-temps. Et ce n’est là qu’un aspect du génie de Monsieur Richard pour le commandement. Quand un membre de l’équipage s’est distingué, le capitaine trouve des phrases qui n’ont l’air de rien mais qui vous mettent le vent en poupe pour quelques semaines.

Ce soir-là, quand l’oncle Paul eut rangé les dernières arêtes, sur le bord historié de son assiette, il demanda soudain :

— Paule, as-tu remis la lettre à ton père ?

Paule couvait sa mère des yeux.

— Quelle lettre ? demandait Monsieur Richard, imprudent.

— Paule fait sa mijaurée, dit André.

— Une lettre, dit Paule en retenant son souffle, de la Police de la route.

Monsieur Richard se mordit les lèvres. Jacques regarda son père à la dérobée. Monsieur Richard, les mains jointes, levait un index en signe de protestation et son visage refusait à grand-peine de se détendre. Il plissa le front, ouvrit de grands yeux penauds, et incapable de jouer l’innocence, alluma une cigarette en y mettant un temps infini ; il jouait avec son briquet et tortillait sa moustache. Madame Richard, de ses mains, couvrait le bas de sa figure ; son regard timoré voletait de Paule à son mari et ne