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LE VERGER

de soie blanche sur sa moustache roussie, et jeta un coup d’œil sur la haie de nerprun que le jardinier achevait de tailler. La voiture s’arrêta dans l’allée sablée. En se retournant pour fermer la portière, Monsieur Richard vit descendre près de l’anse aux Canots la motocyclette d’un policier.

Quelques jours passèrent.

Les allées et venues de Jacques sur la route de Saint-Laurent étaient désormais du domaine public. La famille réunie pour les repas, Jacques devenait, d’un accord commun mais non avoué, l’objet d’une conversation où les mots les plus candides recélaient des sens nombreux et patiemment affilés. André, vite interrompu par le regard réprobateur de son père, chanteronnait les premières notes d’une romance popularisée par la radio, et où les mots de « ma douce mélancolie » revenaient en rengaine ; et Guy émettait d’un air satisfait une sentence mûrie au plus creux de son mutisme.

Un gentilhomme aux yeux intelligents et malicieux, les cheveux grisonnants et coupés ras sur un front cambré, tenait, comme un capitaine au long cours, le haut bout de la table. C’était le père de Jacques. Ses doigts osseux, aux phalangettes nicotinisées, se joignaient sur le bord de la nappe, tandis que de tout son visage distendu par une journée de labeur sur la grimace des chiffres, il souriait aux bons mots dont il était friand. Il regardait parfois, à l’autre extrémité, Madame Richard occupée simultanément, par un miracle dont elle tenait de sa mère la recette, au service de sa nichée, à la conversation des enfants, aux remarques de son mari, et aux mille problèmes