Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
LE VERGER

lation ; puis il s’essuyait la bouche et indiquait, au jugé, le cru et l’année. Il faut prendre la vie comme lui. Pas comme Noël qui s’enivre ; il ne convient pas, pour le gros plaisir de s’enivrer, de profaner des vins de ce bouquet. N’ai-je pas raison ?

— Où veux-tu en venir ?

— Il ne faut pas non plus buvoter comme toi. Le dégustateur, lui, est seul avec son verre de vin ; il ne cherche pas à savoir si le vignoble est en bon état, si le propriétaire est heureux ou malheureux, et encore moins si tous les hommes doivent cultiver la vigne pour trouver le bonheur. Cette géographie humaine ne le concerne pas. Disons, si tu veux, qu’il étudiera la géographie quand ses concitoyens l’éliront député. Nous ne sommes après tout que des collégiens. La vie nous instruira au fur et à mesure de nos besoins, tu verras. »

Maurice ne manque pas d’esprit. Maurice, malgré qu’il en ait, n’est pas si éloigné des vices qu’il reproche à ses amis. On ne résout pas la vie avec des apologues, et Jacques pour le moment se sent capable d’autre chose.

Depuis le feu de la Saint-Jean, depuis qu’il entend la musique, il marche de découverte en découverte. Il ne fera pas d’esclandre, c’est entendu, mais il a l’impression d’échapper à sa présence. Ces allégements subits croient éviter les regards en s’exposant à l’action. Jacques dérobait la bicyclette d’André, dans la resserre, et pédalait d’une traite jusqu’au fin fond de la grève du nord ; la bicyclette chantait sur la rocaille, des ronciers éraflaient le visage de Jacques, ses avant-bras, et lui arrachaient des cris