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cience une joie éblouie de vivre et de respirer ; ce matin, le pays compose la même harmonie de lumière et de son, mais Jacques écoute en lui, comme des accords dissonants, des rumeurs et des murmures faits d’un passé et d’un présent étrangers l’un à l’autre.

Maurice détaille le paysage : les tours grises des élévateurs à grain, la confusion des gréements et des hangars, le chevauchement des édifices au pied de la citadelle endormie sous la mousse. À Lauzon, près d’une haute cheminée de brique jaune, les mandibules noires du bassin de radoub sont ouvertes, et le pétrolier galeux qui en est sorti attend que l’on complète la peinture de son accastillage. Maurice voit tout, mais Maurice depuis plusieurs instants a perdu la présence de son ami.



C’était le premier vendredi du mois. Jacques s’était agenouillé à la sainte table, près de Monique ; il avait joint les mains sous la nappe, fermé les yeux, et reçu le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tandis que le vieux curé prononçait, de sa voix qui n’a plus d’âge, les paroles de la vie éternelle : « Corpus Domini Nostri Jesu Christi custodiat animam tuam in vitam æternam ». Revenu à son banc, la gêne le figeait en la présence de son Dieu. Qu’est-ce que la foi ? Et qu’est-ce que l’amour ? À ce qu’il voit, il n’aime pas, lui, ou il n’aime plus. Et aussi pourquoi depuis quelques temps, dès le saut du lit et, par intermittences, tout au long du jour, un souvenir insolite lui bat-il les tempes, comme les crépitements de la riveuse sur le fleuve ? Bien sûr qu’il se rappelle la causerie d’un