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LE VERGER

que vous dépassiez votre compréhension d’une œuvre littéraire. À vous voir tourner autour de Jéricho, comme les trompettes de Josué, on s’attend à voir crouler les murs, et les murailles vous défient, Maurice, elles vous défient. »

Maurice lisait les livres comme il observait son milieu. La littérature pour Maurice était un guide de régisseur. Il refusait de prendre part, il se garait de la pitié. Le jour qu’il se mêlerait aux hommes tout de bon, rien ne résisterait à sa connaissance du monde. Mais Maurice est l’ami de Jacques ; c’est la province secrète de son royaume, la seule faiblesse que Maurice se permette avec la vie. Les raisons ne lui manquent pas de s’intéresser au dialogue dont il a entendu les premières phrases le soir de la Saint-Jean.

Les deux amis regardent monter la meute pressée des eaux dans la lumière franche du petit matin ; après avoir rebroussé chemin quelque part dans le Golfe, elles reprennent la route bleue des hauts pays, élongent les falaises, filent entre les îles, submergent comme des escadrons les ocres brunes des battures et s’étranglent là-bas entre les rochers de Québec et de Lévis. Les crépitements de la riveuse, aux chantiers de Lauzon, se répercutent par rafales sur les rives, et lorsque cesse la trépidation métallique, le silence relève son visage paisible. Après un moment Jacques perçoit quelques-uns des bruits confus qui lèvent le matin de la campagne affairée et des bourgs de la côte, entre les clôtures sombres comme les cassures d’une pierre. La fraîcheur saline du montant, qui pince les muqueuses et porte le parfum mêlé de la mer et des champs, tire jusqu’au seuil de la cons-