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Jacques rageait. Neuville ! mais pas du tout, c’était saugrenu ce rapprochement.

Louise n’entrait pas toujours dans les sentiments de sa sœur.

— Il n’y a pas grand-chose de commun entre Neuville et cette pointe de l’île. Neuville était joli ; ici, il y a plus, mais je ne pourrais dire quoi, ni comment…

Jacques exultait. Il aurait voulu vanter les sites de son île, promettre à Louise de les lui montrer. Il ne se sentait plus de verve, il redoutait l’afféterie ou craignait de se révéler dans le pays de son enfance ; d’ailleurs, avant trois phrases à Louise, l’embarras de la jeune fille le paralyserait net.

Ils s’étaient tournés vers la gauche, attirés par le grondement de la chute Montmorency. L’éminence qui leur servait d’observatoire marquait l’extrémité de cette longue arête qui traverse l’île d’Orléans dans sa longueur comme le dos d’un esturgeon. Leur regard dévalait le long des prunelaies, des luzernes et des sarrasins, retrouvait le fleuve coincé à marée basse entre les accrues des battures ; la côte de Beaupré, éventrée en son milieu par la faille blanche du saut, servait de socle aux déclivités massives des Laurentides.

— Ce paysage ne vous suggère-t-il rien ? demanda Jacques. Pour moi, c’est comme une belle vie faite de souvenirs et de labeur, et d’espoir aussi.

Louise approuvait timidement :

— Peut-être en dirons-nous autant quand nous le connaîtrons mieux… Tu ne penses pas, Estelle, que nous préférions ce coin de pays à Neuville ?