Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’accélérateur, les mains à plat sur le volant, Jacques éprouve de la volupté à sentir les mécanismes obéir sous lui avec intelligence ; l’art a si bien agencé le jeu des organes, le chauffeur y insinue avec tant de précision et de confiance ses ordres multiples et entrecroisés, que l’automobile tout entière assume pour un temps cette vie venue d’en haut. Une longue habitude, une compréhension quasi mutuelle ont fait de l’auto une compagne, une amie du jeune homme.

L’oncle Paul regardait luire la Saulaie, en contrebas, comme un bouquet de fleurs blanches entre le chèvrefeuille. Il avait entrepris d’interroger Lucien, à mots couverts, sur le progrès des tractations ; Lucien faisait sa tête et mâchonnait des formules commodes où revenaient les mots de lourde responsabilité, d’intérêts et d’actionnaires à ménager.

La route en sortant du bois frisait la roche à Maranda et filait entre des champs de fraises. Les grands chapeaux de paille des paysannes accroupies blêmissaient au soleil, entre les perches des clôtures ; les femmes ne dérobaient pas un instant à la cueillette du fruit précieux.

Lucien se tournait vers Jacques pour lui poser des questions. Jacques, à l’échappée, voyait trembler l’arête de la moustache sur le gras des joues ; il ne croyait pas une seconde à la sollicitude de son futur beau-frère. L’oncle Paul, dodelinant de la tête, avait repris sa sieste au rythme des ressorts ; Paule rencognée chantonnait, et André, le nez dressé à la façon d’un jeune chien, écoutait la route battre sous lui comme une courroie dont Jacques prévoyait les capri-