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et se récitait, non sans les mêler un peu, des vers d’Andromaque, dernier souvenir de collège. Ces soliloques rythmés avaient fait dire aux paysans que Monsieur Paul n’était pas toujours tout à lui, réputation qui ne déplaisait pas à la fantaisie et à la verdeur de l’ancien sergent. Accointé avec la marmaille du canton qu’il émoustillait, il coupait court aux jérémiades par une phrase de l’Émile qui résumait sa pédagogie de célibataire : « Vous ne parviendrez jamais à faire des sages, si vous ne faites d’abord des polissons.» L’oncle Paul n’avait d’intérêt que pour l’industrie qu’il gérait avec son frère Cyrille. Les relations avec le père de Jacques n’étaient pas des plus faciles. Au conseil d’administration, devant les contremaîtres et les dactylographes, Paul Richard renonçait à sa jovialité et aux élans généreux de sa nature ; il était alors précis et coupant. Hors de la fabrique, c’était le plus prodigue des oncles et, tant que les affaires ou les intérêts de la famille n’étaient pas en cause, au dire de Madame Richard toujours, le plus amène des beaux-frères.

— Jacques, Jacques, amène-nous à Québec, veux-tu ?

André et sa sœur Paule accouraient. L’oncle Paul souleva de son front basané la palette de sa casquette, et alluma sa pipe. L’oncle Paul comme un pilote à sa retraite allumait sa pipe du matin au soir.

— Tu vas à Québec ?

— Viens avec nous, mon oncle Paul !

Et les enfants prenaient leur oncle sous le bras. L’oncle Paul abandonna son râble à la profondeur de la chaise longue et mordit de ses grosses lèvres