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LE VERGER

dis toujours comme ce soir que nous ne serions plus les mêmes si, une fois, le feu de la Saint-Jean ne brillait pas sur la pointe de l’île.

Estelle sourit. Elle était très positive. Elle avait étendu sa mante sur le sablon et s’était assise. Les autres l’imitèrent. Plus d’enfants, plus de cris ; un murmure courait d’un groupe à l’autre au bas du mur, et sur le trottoir, le chuchotement des vieilles gens qui se disent bonsoir. Une souche se consumait sur un rocher que l’eau cernait d’un cercle mauve, et les flambées des côtes et des battures berçaient, comme une mélopée, une flamme timide dont le rais dédoré reculait sur le fleuve.

— Où sont les Remparts, Jacques ?

Estelle avait posé la question sans esquisser un mouvement.

— Nous ne voyons pas la rue Charlevoix ?

— Moi, je la vois, et les saules, et le jardin de l’hôpital qu’on ne devait pas contourner après huit heures.

Ils se turent un moment.

L’onde soulevait les braises comme des taches de naphte autour d’un cargo engravé ; elles ondulaient et, lentement absorbées par le flot, sombraient dans un dernier scintillement.

— J’étais une méchante petite fille, Jacques, en ce temps-là ; j’espère que j’ai changé. J’avais mauvais caractère. Je ne suis pas venue au monde l’âme sereine et faite pour le bonheur, comme Louise.

Louise protestait. Maurice crut bon d’ajouter :

— Estelle pouvait évoluer, elle était assez forte pour modifier sa nature. Ses colères sont maintenant