Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.

france enrichissait ? Moins un amour neuf qu’un nouveau visage de l’amour ; elle en percevait les traits apaisés, un reflet du visage de sa mère penchée sur elle en une nuit de fièvre. Elle s’était demandé tout à l’heure, à la suite de Jacques, jusqu’où devait aller l’amour de Dieu. Elle l’ignorait ; mais elle savait jusqu’où il devait aller aujourd’hui. Après, on verrait. Et ce jeune homme devant elle, l’âme indécise, recevrait-il la réponse qu’il avait cessé d’espérer ? Serait-elle, comme elle le lui avait promis un soir de septembre, où les noirs oiseaux d’automne s’ébattaient sur la grève avant le départ, capable, malgré tout, de la joie ? Dieu se servait de toute créature pour sa joie à Lui, et sans doute n’existait-il qu’une joie comme il n’existe qu’un amour ; le tout était de saisir le lien. Et peut-être que sa vie à elle n’était pas inutile.

Elle ne voyait plus très bien Jacques de ses yeux brouillés, et elle était à cent lieues de la chambre où elle murerait son déboire. Elle se leva. Jacques se disposait à la suivre :

— Je vais te conduire.

Il avait retrouvé ses gestes dégagés, une courtoisie innée qui le rendait charmant. De la tête elle fit signe que non. Comment parlerait-elle sans libérer le sanglot qui l’oppressait ?

— Nous nous reverrons. Je voudrais te parler… Je serai plus brave une autre fois… avant que tu regagnes le collège…

Elle était partie.

La serveuse s’activait devant le jeune homme affalé. Jacques avait allumé une cigarette qu’il écrasait sur le bord de la soucoupe, les yeux rivés stupide-