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LE VERGER

— Je suis libre, cher ; je suis venue pour toi.

Elle disait ces paroles en pleurant presque.

Comme Jacques avait imaginé autrement cette rencontre qui menaçait de tourner à rien ! Les mots préparés depuis des semaines, il ne pourrait pas les prononcer ; il en fallait trouver d’autres, plus délicats. Il avait dressé des plans, écrit une lettre pour ne plus reculer ; et depuis quelques jours, il abandonnait un à un les articles de son programme. Les expressions échappées à sa critique et recordées cinq minutes auparavant, s’étaient évanouies au seul contact de la main gantée. Le voilà de nouveau à lanterner ; depuis qu’il a rabroué le petit, il a perdu le pouvoir de tourmenter qui que ce soit.

Ils marchaient sans trop savoir où ils allaient. Ils suivirent la rue Buade et se dirigèrent vers les Remparts. Des enfants couraient dans le parc Montmorency et, derrière le mur du Séminaire, on entendait les pas des grands séminaristes déambulant sous les préaux. Était-ce la négation de la vie que l’austérité devinée à la résonance des pas, aux voix couvertes des jeunes clercs ? Louise n’avait jamais aimé à longer le mur du Séminaire ; un prêtre, un séminariste, lui étaient un monde de mystère, et aujourd’hui une menace. Une balle roula vers les jeunes gens, et Jacques, aux acclamations des gamins, la lança au-dessus des fils télégraphiques, en plein ciel. Ah ! que la joie était bonne quand on en était digne !

Les grands troncs défeuillés se dérobèrent et l’horizon se hissa au niveau du parapet. On ne pouvait résister à l’appel des paysages orientés vers ce point des Remparts comme vers le centre de leur stabilité ;