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LE VERGER

ses enfants où Il voulait, comme un père avisé, par les moyens que ceux-ci lui prêtaient ? Et c’était vrai probablement.

Ah ! ce garçon, comment le suivre partout où il voulait l’entraîner ? Lire un livre pour lui, c’était s’engager et du même coup poursuivre, sur des pistes fraîches, ces mystères intérieurs qui détalent au moment où on croit les saisir. La vie s’était compliquée depuis que Louise correspondait avec Jacques. Elle avait cru un instant que la vie s’apprenait une fois pour toutes. Non, c’était autrement, toujours à remanier ; ni des recettes ni des théorèmes, mais des problèmes dont la solution ne satisfait jamais. Et quand la tentation la prenait des sentiers faciles, elle se rappelait ce que Jacques lui avait écrit : « Le jour où nous aurons trouvé réponse à nos interrogations et que nous serons incapables d’exploration et de découverte, notre amitié sera morte avec notre jeunesse. »

On ne peut pas dire que Jacques soit un garçon instable. Lorsqu’il pose le pied quelque part, il appuie de tout son poids, et Estelle ne manque pas de railler sa lourdeur ; s’il donne depuis quelques mois l’impression d’effleurer le sol, c’est qu’il brûle les étapes et court vers un but.

Louise cherche dans la glace de sa toilette des yeux qui reflètent la peur. Peur de quoi, vraiment ? Le malheur avait toujours redouté cette jeune fille. Il s’approchait parfois ; Louise le pressentait, comme on fait un orage au frisson des rideaux et de la lumière humide sur le parquet ; l’orage s’éloignait, les menaces se résorbaient. Quel visage tourmenté ne s’était pas