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LE VERGER

joliesses de décadents, vous finirez dans la foutaise. Ce soir-là, quand je t’ai entretenu de ma décision, je n’étais pas fou ; mon ange m’avait empoigné par la chevelure et il me secouait, il fallait bien que je crie !

— Pourquoi les Pères Blancs ?

— Pourquoi ? Parce qu’on ne fait pas les choses à moitié quand on se donne au bon Dieu. Leur Provincial commence à me prendre au sérieux, un petit homme à barbiche qui ressemble à un vieux bouc (je suis irrévérencieux à l’égard de mes futurs supérieurs !), un homme de cœur. Pendant que je divaguais devant lui, la barbiche lui tremblait ; il souriait de quoi ? Enfin, me trouves-tu si béjaune que ça ?

— Il pensait à ta visite manquée cet hiver…

— Tu peux en parler ! C’est le Provincial qui a refusé de me recevoir. J’avais inutilement demandé à un Père de la rue Sainte-Ursule de me ménager une entrevue. Et encore aujourd’hui, le Provincial, il ne consent à m’admettre qu’en septembre ; il n’en démord pas, têtu comme un bouc. Ils veulent m’exposer aux bêtes. Ils en prennent à leur aise, eux, ils sont casés. Que veux-tu que je bourlingue à l’île ou au Portage avec mes parents pendant l’été ? Quand c’est fini, c’est fini… Jacques, j’expierai mes péchés, et ceux des autres… et les tiens, mon vieux !

Jacques écoutait son ami. Noël ne reviendrait pas sur sa résolution. Heureux homme de trancher ainsi à vif et sans barguigner ! Noël ne lancerait plus de cailloux dans les vitres des gens qui ne pensaient pas comme lui. Ils avaient donc tant vieilli tous les deux, en ce court laps de temps, que leur amitié pour se maintenir exigeât, dès ce soir, une orientation