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LE VERGER

La musique ne tenait pas d’autre langage. Ses amis ont perdu son sillage, mais lui va toujours, emporté par une marée qui n’a pas de terme. Non une fuite, une conquête plutôt. Il le sait, mais il le sait mal et il appréhende vaguement quelque nouvelle et cruelle leçon de l’expérience.

À la fonte des neiges, la cour n’est plus praticable. On va et vient sous le préau, comme des gens qui foulent les mêmes idées. Saint-Denis n’a pas démissionné ; les pouces aux goussets de son gilet, il remorque ses jambes flasques auprès de son ami avec une assiduité que le Père Dreux ne prise guère. Jacques Richard est du domaine des objets précieux ; depuis que le Père Vincent s’intéresse à lui, on ne peut plus toucher à ce garçon hautain.

Un soir, à la fin de mars, le Frère Portier vint quérir Jacques à l’étude :

— Un jeune homme qui a de grands yeux surpris, et une jasette avec ça ! Il marche dans le parloir.

C’était Noël. Il refusa de s’asseoir et entraîna Jacques dans le corridor. Il tenait un livre dont il se frappait le plat de la main.

— Je sors de chez le Provincial.

— Qui, le Provincial ?

— Le Provincial des Pères Blancs ! Diable ! As-tu oublié ce dont je t’ai parlé sur le quai de la gare ?

— J’ai pensé que tu étais un peu fou ce soir-là.

— Je suis toujours un peu fou, tu le sais bien, moins fou en tous cas que Maurice et toi dans votre satanée correspondance ! Avec vos subtilités et vos