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LE VERGER

homme clairvoyant est capable, fût-il païen. Il ne suffit pas de la pitié ; livrée à elle-même, la pitié se départ difficilement de sa hauteur et, quand elle ne tourne pas à l’odieuse philanthropie, elle s’étiole ou se décourage. Le monde ne nous est pas si étranger que nous croyions. Côtoyer les hommes sans contracter définitivement la contagion dont nous portons en nous le virus, n’est-ce pas un peu cela que nous exigeons ? Il n’est question ni de haïr ni de s’apitoyer, encore moins de se cabrer ou de pactiser, mais d’aimer ; le salut est à ce prix ; scander notre marche de ce refrain, Maurice. Et, la lassitude qui nous guette ! Mais comment et jusqu’où pouvons-nous nous engager dans le monde sans renoncer à ce qui me paraît être l’unique raison de vivre, à notre jeunesse ? Je cherche cette ligne de partage que tu prétends introuvable et Noël, inexistante. Je ne tiens pas de réponse plausible mais grâce au Père Vincent, je ne désespère pas. »

Comme au soir du Concerto en ré, Jacques rassemble des souvenirs, tourne des pages qui s’éclairent l’une l’autre. Le mariage de Monique qui l’a rejeté vers Maurice et Noël, et vers la Saulaie, le dialogue avec Louise le soir de la Saint-Jean, les larmes du petit dans le corridor du réfectoire le jour même du grand deuil, la méditation sur le corps de son père, se relaient entre eux comme les phares de l’île et participent d’une même lumière. Maintenant que le trouble et l’amertume se sont dissipés, Jacques voit poindre le jour limpide où il lira dans les figures terrestres de l’amour le reflet de l’amour qu’il poursuit et qui le poursuit.