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— Père, pourquoi vous êtes-vous fait prêtre ?

Ça y est. La question, telle qu’il aurait voulu la poser dans six mois, est là devant lui ; il a sauté le mur. Le Père n’a pas l’air étonné. De son tranche-papier, il frappe la paume rosée de sa main ; sa chaise à bascule grince sur ses ressorts.

— Mon cher ami, la réponse n’est pas facile. Il n’y a pas qu’une raison, il y en a plusieurs.

— Je suis indiscret, je sais.

— Voulez-vous connaître l’occasion ou les occasions de mon choix ? Des circonstances admirablement ordonnées par Dieu ; j’ai l’impression d’avoir été moins l’auteur que l’objet d’un choix.

— À quels signes ?

— Rassurez-vous, je n’ai pas été terrassé sur le chemin de Damas ! C’est beaucoup plus simple.

Jacques demande davantage ; le Père ajoute :

— L’amour de Jésus-Christ.

François Lemieux dans dix ans ne s’y prendra pas d’une autre façon pour énoncer le truisme de sa vie : « Je suis notaire parce que mon père était notaire » ; mais le ton diffère. Jacques a conscience d’avoir forcé une porte, et le Père baisse les yeux comme un enfant surpris à monologuer. Ce que Jacques découvre le déconcerte ; le Père relève la tête et lit un doute dans le regard du jeune homme.

— Doutez-vous de ma sincérité ?

— Non, Père. Je ne suis pas habitué à ce langage.

Il garde le silence un instant, mais ne peut retenir les battements de son cœur.

— Y a-t-il beaucoup de gens qui pourraient parler comme vous ?