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LE VERGER

comme des paupières. Le mol abandon des branches, le frottement d’un rameau contre le toit, évoquaient à eux seuls la splendeur des nuits qui abritent le Verger. Dans les Laurentides, on frissonne en ce temps de l’année sous la lumière nocturne que reflètent les lacs entre la forêt noire. À l’île, l’or des constellations prend déjà la couleur des foins coupés et on dirait que le firmament participe à la ferveur des champs où il se mire. La flèche gris perle du clocher brille sur les marronniers du coteau, et le chemin de l’église luit entre les cerisiers.

Jacques imaginait sa tristesse enfuie à pas de loup, lorsque la corne d’une automobile rompit l’illusion : les Legendre tournaient le coin de l’anse aux Canots. André dormait toujours. Jacques se leva, enfila sa robe de chambre et ouvrit la porte sans bruit. Un souffle embaumé courut devant lui dans le corridor obscur. Un arôme mouillé de trèfle et de menthe mêlé au parfum d’un églantier en fleurs sous la fenêtre, s’agrippait aux vignes touffues et se hissait d’un bond dans la chambre. Ces émanations, on les retrouvait, le jour, blotties dans l’armoire de cèdre où Madame Richard rangeait le linge des garçons. Le jeune homme se laissait guider par elles, et la catalogne, devant les portes, lui claquetait sous les pieds. Monique, la sœur aînée, n’avait pas encore éteint sa lampe.

Jacques était seul dans le solarium, installé devant l’appareil de téhessef, les portes vitrées bien closes ; le tintamarre des cafés-concerts américains polluait la pureté de la nuit. Jacques s’aperçut qu’il avait allumé une cigarette et demeura quinaud devant cette nouvelle manifestation de son trouble ; il fumait