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ses plus élégants coups de seine. Lucien Voilard est né pour régenter l’univers.

On avait tenu un conseil de famille. Voilard et sa femme s’établiraient à Québec. À la demande de Madame Richard, le jeune ménage résiderait rue de Bernières ; on leur taillerait un appartement à même l’étage. Pendant les travaux, du quinze décembre à la mi-janvier, Madame Richard voyagerait dans le sud ; Jacques et André passeraient avec elle les vacances de Noël.

La famille est sous la coupe d’un grand chef d’atelier qui connaît les hommes aussi bien que les machines. Madame Richard est touchée de la déférence de son gendre, et de l’intérêt porté à l’avenir de Jacques, c’est patent, et elle ne peut refuser de vivre près de Monique. Le voyage dans le sud facilite l’établissement du régime conçu par Voilard, et amoindrit ou reporte en juin le péril de nouveaux heurts avec Jacques et André, dont on remet la conquête à plus tard.

Juin : Jacques voit déjà le loup dans le Verger. Le monde avec Voilard n’est pas un verger ; le monde ressemble plutôt à la cage des bordigues, où l’anguille et l’esturgeon, guidés par leur mauvais génie, se frappent à coups de queue et dévorent le fretin dans l’eau qu’ils ont brouillée.

À ce point de sa réflexion, Jacques touche un sentiment dont il n’est pas fier, un sentiment analogue à celui qu’il éprouva en refusant de voir Louise. En vain se répète-t-il que le mépris domine en lui la peur, et que la peur elle-même est parfois salutaire, il aimerait mieux frapper que fuir ; on ne trouve rien en