Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/153

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toutes les sortes d’expérience, pourvu que j’y trouve de l’inédit et du palpable. Les petites joies permises de notre planète ne me satisferont jamais. D’ailleurs on finit par épuiser la jouissance dans notre monde pourri. J’ai peur de moi et si je continue à goûter au monde pour vrai, je te dis que je suis fini, je me damne.

Jacques risqua une objection :

— Et ton confesseur ?

— Je n’en ai pas.

— C’est une embardée !

— Je te dis que je n’en ai pas ; j’en ai plusieurs. Je recommence chaque fois mon histoire. Celui que j’ai actuellement m’approuve, en principe, et quand vient le temps des résolutions, il tergiverse. C’est un pondéré.

Le chef de train balançait sa lanterne rouge. Jacques serra la main fiévreuse de son ami et sauta sur le marchepied. Le convoi démarrait avec précaution pour ne pas éveiller les dormeurs. Noël suivait en gesticulant :

— Tu penses que je perds la tête ? Pas autant que tu crois. J’irai chez le Provincial des Pères Blancs la semaine prochaine. Et je monterai te voir au collège. D’ici-là, garde le secret. Tu ne sais pas ce que c’est… Bonjour, bonjour…

Il agite les bras sur le quai, et ses yeux hagards sombrent dans la nuit. Noël est l’ami qui est pur, l’ami dont la jeunesse ne finira pas.

On respire un froid doux qui sent la vapeur et la suie. Le train n’est pas encore sorti de la cour ; il se déprend de cette immense toile d’araignée forgée