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avoir du cœur autrement. Tel avait été son père, depuis les jours les plus reculés jusqu’à la dernière rencontre, au mariage de Monique. Monsieur Richard n’avait pas été un confident pour Jacques ; mieux qu’un confident, il avait été un maître respecté dans l’amour, un homme auquel on aurait voulu ressembler. Mon Dieu, donnez-lui le repos ! Mon Dieu, qu’il eût fait bon tout de même de demander une place près de lui dans le bureau, et de traverser la fabrique avec lui, et d’apprendre de lui la vie. Comme un petit gars, Jacques aurait voulu glisser sa main dans la main de son père ; il n’aurait pas eu peur de la vie alors.

Madame Richard s’est retirée. Guy fait les cent pas dans le vestibule aux tentures pâles et se regarde les mains longuement. Tout en sirotant son cognac, il échange quelques mots avec son frère ; mais il n’a jamais beaucoup parlé, il est fait comme ça. Jacques ouvre une fenêtre et les rideaux de tulle collent aux vitres ; si la nuit aspirait l’odeur écœurante des fleurs en décomposition, on oublierait volontiers les immenses tributs à la vanité de la famille et des donateurs.

C’est cela la mort. Jacques n’est pas sûr de ne pas être triste. Cette veillée d’armes avive les souvenirs. Ce ne sont plus des qualités abstraites que Jacques admire chez son père, mais des traits de caractère qui donnent à une anecdote une saveur durable. On n’entendrait plus Monsieur Richard chantonner au retour du bureau : « Vanité des vanités, tout n’est que vanité » ; Jacques ne soumettrait plus à son père ses budgets trimestriels ; il ne recevrait plus de lettres