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à l’image de la musique ? un monde où on s’élèverait, sans effort apparent, à cette délicatesse, à cette distinction qui marque les rapports du musicien avec les êtres et les hommes ? L’auteur du Concerto en ré n’imposait aux auditeurs qu’une part minime de son génie ; il ne forçait pas une conscience dans la salle, ne modifiait pas le destin ; il ne créait rien dans le cœur de Jacques qui battait de son propre rythme, pas plus que le soleil d’automne ne crée le paysage lorsqu’affleurent sous leur rosée fauve les battures et les côtes qu’il a désembrumées.

Souvenir qui seul donne aux incidents d’une vie en surface leur sens et leur profondeur, détresses, exultation, prairies, lacs, futaies, montagnes coupées de combes et de vallons, paradis dont l’île et les Quatre-Sœurs ne portent qu’un reflet et où un soir, à la Saulaie, la petite musicienne avait entraîné Jacques de plain-pied ! Il s’avançait depuis en des sentiers nouveaux où Louise le précédait ; les parfums que l’on y respirait n’enivraient pas le jeune homme ; Jacques savait quelle présence féminine l’aidait à se faire moins dur pour lui-même, plus accueillant aux réalités de sa vie intérieure, à une Présence lointaine et irrésistible.

Toutes les nuances de la joie, tels les parfums des étés, vibraient dans les mesures concises du rondo ; il n’y manquait pas même la légère amertume que soulève au fond de l’âme en délire l’appréhension d’un épuisement fatal. On aurait voulu prolonger sans fin un bonheur au-delà duquel on ne concevait que la joie réservée par Dieu aux orants et aux saints. La musique, libérée de toute alluvion, ne permettait