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n’avait pas trop remarqué le malaise de Jacques car la dame en avait long à conter. Et le marmot, pieds-nus, à-demi vêtu d’une camisole graisseuse, Jacques aurait voulu le moucher pour le soulager ; il n’avait pas osé toucher cet enfant malingre, aux paquets de cheveux agglutinés. Il inspectait les murs de la hutte tapissés d’un papier à fleurs que les camarades de Jacques, sous la direction de François, avaient encollé de leurs mains malhabiles. Enfin François se leva, tira un calepin, gribouilla quelques notes. La dame se dandinait en les accompagnant vers la porte :

— Monsieur Lemieux, si vous pouviez ajouter une demi-livre de fromage pour mon mari.

Jacques lui aurait acheté une meule de fromage à cette pauvresse qui tordait ses mains gercées dans les plis de sa robe. Il avait mal au cœur et reniflait de dégoût. Ils sortirent dans la rue boueuse. François, vieux routier de la Saint-Vincent-de-Paul, ne disait mot.

— Combien avez-vous consacré d’heures au ménage de la cambuse ?

— Un samedi après-midi, de deux à cinq.

— J’aurais décampé au bout d’une demi-heure.

François sourit.

— On s’y fait, mon vieux. On se fait à tout. À quatre heures le mari est entré, ivre. Et il a rendu gorge devant nous avec le secours de sa femme. Les enfants pleuraient ; je les ai fait sortir avec Raymond Larocque et j’ai continué à travailler. La femme m’épiait pour voir si je les mépriserais. Je ne te raconte pas ça pour te décourager. Les pauvres, on les aime nippés comme ils sont. Autrement, ça ne peut pas