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Il écoute les battements de son cœur dans le corridor désert et déguste les premières gouttes d’un bonheur fort et subtil.

Le Père Préfet récitait son bréviaire. C’était un homme au visage charnu où luisaient des yeux pers ; une large barrette appuyée sur un front busqué lui découpait une auréole de frisons gris.

— Jacques, passez donc dans mon cabinet. Et soyez sans inquiétude.

Jacques le connaissait bien ce cabinet, un réduit mal éclairé sous un escalier ; des rayons chargés de livres et de dossiers, une table de travail, un prie-Dieu, et un grand crucifix cloué au mur. Les élèves appelaient cette pièce le cabanon. Les petits y faisaient un stage plus ou moins long avant de recevoir la fessée. Avec les aînés, il en allait un peu autrement. Il avait suffi d’un quart d’heure de solitude dans ces oubliettes pour déclancher une crise de larmes chez le grand Leclaire, le matamore de la première division. Jacques s’était assis et torturait les boutons de son veston. Il entendit fermer la porte du bureau.

— Vous n’avez rien à vous reprocher, Jacques ?

— Pas que je sache, mon Père.

— Sûr ?

— Sûr.

— Alors, donnez-moi donc la lettre que vous vous proposiez d’expédier à l’insu du Père Préfet.

— Je l’ai déchirée… Je vois que le Père Dreux a fait son rapport ; il ne perd pas de temps.

— Le Père Dreux a fait son devoir, Jacques. Vous ne vous croyez pas un peu jeune pour entretenir une