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sur un passé lourd de nos échecs, à quoi bon ces hommes de chair, qui imitent la vie, alors que les cinémas et les rues voisines sont pleines de nos frères, gonflées de nos actes. On vient faire ici une sorte de pèlerinage, voir des vieillards, ceux qui exploitent les traditions sans les enrichir. Je viens, moi, pour faire le point, et aussi par tristesse de me souvenir par maladie. Mais les hommes jeunes sont ailleurs, on en rencontre peu ici.

Et maintenant, en dernier lieu, quoi qu’on fasse pour échapper, quels que soient les soirs que l’on passe au bistrot, au ciné, au théâtre de Belleville, il est un coin qui, avec l’atelier, se partage presque votre vie : votre foyer, c’est-à-dire l’immeuble dont vous êtes locataire, et là, votre logement. Après la joie, après le travail, voici votre dernier refuge où vous retrouvez ce qui a été un temps vos désirs, vos amours, vos devoirs : une femme, un enfant, des meubles. Tout le monde n’habite pas un immeuble de la ville de Paris ou celui d’une fondation Rothschild, où l’on jouit, relativement, du confort. Depuis un siècle que l’arrondissement s’est construit, les maisons qui firent peut-être bayer d’admiration nos grands-pères, se sont tassées, craquelées, ridées, et, comme avec le temps nous avons davantage le souci de mieux respirer, de nous laver, de ne pas être mangés par la vermine, toutes ces maisons sont loin de nous donner satisfaction. Si on y trouve le gaz, l’eau à tous les étages — mais souvent sur le palier — on n’a pas toujours cette chance d’habiter une maison possédant le « tout à l’égout » ; aussi, certains soirs, une pompe et des voitures stationnent devant l’immeuble. On en prend une prise. Mais enfin, cet événement n’arrive pas chaque semaine, tandis que c’est chaque matin, chaque soir, tous les jours que fait le bon Dieu, que vous contemplerez les murs de l’escalier, peints en brun, parce que voilà une couleur pas salissante, qu’un bec papillon ou une mauvaise ampoule éclaireront de façon funèbre le couloir d’entrée ; oui, chaque jour que vous devrez saluer une concierge cancanière, hypocrite, féroce comme un adjudant dans sa caserne ; que vous devrez respirer les relents de cuisine, entendre les disputes des voisins, ou leur phono, ou leur