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Quelquefois, violemment, nous sommes tirés de nos songes, mis cruellement en face de nos inquiétudes et de nos cauchemars, à l’instant où passent ces actualités qui ne peuvent, elles, nous bercer, mais exaspérer nos haines ou matérialiser la force de nos maîtres. Soudainement nous voici arrachés au sommeil. Quoi qu’on fasse, il est malaisé d’atténuer la cruauté d’un visage, d’un meurtre, d’une scène de guerre ou de répression ; on ne peut, comme dans un journal, à l’aide des mots, effacer la réalité d’un fait. Quel souci d’information, ou de propagande, ou de profit, pousse à nous en rendre spectateurs ? Il y a, dans certains quartiers, des salles passives, où des êtres sont repus et trop heureux pour s’émouvoir et haïr, seulement, à Belleville, par ces jours troubles qui désormais sont les nôtres, chaque image, presque, donne naissance aux protestations, aux cris de révolte. Ah, enfin, ces clameurs, je les entends, dès qu’apparaissent sur l’écran des financiers, des prêtres, des hommes politiques, des généraux ; plus fortes dès qu’il s’agit de défilés, de cette grimace de la guerre que sont des grandes manœuvres. Comme des profondeurs du sol, dans des régions volcaniques, montent des grondements, il s’élève un cri unique : « À bas la guerre ! À bas l’armée », et qui n’est pas une rengaine. Toutes ces faces que j’ai vues éblouies s’assombrissent et retrouvent leurs préoccupations rendues plus pressantes. Combien sommes-nous qui allons déterrer nos souvenirs de la dernière guerre ? Cette houle qui agite la salle, révèle un désir de révolte et d’action. Les images, sur l’écran, ont disparu, que nous restons bouleversés, d’avoir été mis dans le secret du monde. Si limité est notre horizon. Nous ne quittons pas l’atelier, la ville ; nous sommes simples ignorants, trompés. Quand tout à coup quelle brusque lumière nous révèle la vérité. Là-bas, dans le Pacifique, manœuvres de la flotte américaine ; batailles en Chine ; manifestations en Allemagne ; en France, sous tant de prétextes, défilés militaires. Allons, impossible de s’endormir. Tout nous rappelle cette horreur qui menace nos existences. Aucun de ces spectateurs, ouvriers, ne sera épargné ; et le cri de protestation qui leur échappe monte de leurs entrailles. Jamais, au café où ils boivent l’apéritif