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trésors (comme dans : Piloti’s-Bar, ou Direction à l’Entresol).

Dans ses planches, Pierre Vérité a accumulé les objets, à ne plus s’y reconnaître. Mais, ne l’oubliez pas, le propre du marché aux puces est d’être le cimetière des objets. Quoique non ! Certains trouvent preneurs, font de nouveaux heureux, repartent pour une aventureuse destinée. Il y a là de quoi rêver. Intérieurs en plein vent, fenêtres ouvertes sur des salons bourgeois où l’on flaire le scandale, le mensonge, la faillite, et quelle laideur !

La laideur, c’est ce qu’on peut oublier aisément au marché aux puces. Ce sont des artistes, à leur façon, ces brocanteurs. Ils vous ont une manière de composer des étalages qui vaut celle des « ensembliers » des Galeries-Lafayette. C’est moins prétentieux, moins vite démodé, plus hardi, plus ingénu, plus cocasse. Ce sont ces multiples combinaisons mystérieuses que Pierre Vérité, dans plusieurs planches, s’est efforcé de saisir. Il lui est resté entre les mains des morceaux de ces merveilles, jugez-en. Décors d’un jour, décors d’une heure qu’on ne reverra jamais plus, sauf dans cet album. Enfin, pour couronner le tout, Pierre Vérité s’est attaché à suivre les hommes. Ses personnages, ce sont des squelettes ambulants, qu’ils soient acheteurs ou vendeurs, indigènes ou français, marlous ou « hommes de la rue », tous mal vêtus, mal nourris, surmenés, exploités, dédaignés. Et si, parfois, on rencontre un « gras », c’est le fait de la maladie, n’en doutez jamais !

Bien entendu, Pierre Vérité a dû se servir de symboles, transposer hardiment, recomposer, déformer, suggérer, plutôt que décrire. Dans ses planches, il y a quelquefois un peu de lourdeur, on souhaiterait y découvrir un trait plus frémissant, plus aigu. Mais il faut que cet album ait une qualité presque typographique ; qu’on y trouve une écriture fixe, rapide, sûre, lisible. Pierre Vérité s’est soumis à une sévère discipline, sinon… toutes les aventures l’attendaient, surréalistes ou autres. Il n’a pu, peintre avant tout, connaître les libertés du romancier ou du poète. Toutefois, ses préoccupations plastiques ne lui ont jamais laissé oublier le tragique du marché aux puces. C’est pourquoi son album a une unité organique qui est le fait