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s’éteignent ; les personnages que j’ai connus, tendrement aimés, deviennent de fuyants et désolants fantômes – qui n’ont plus même leur place au cimetière de Saint-Ouen. Entre cet hier si proche et aujourd’hui, il y a les années de guerre, d’après-guerre, cela suffit pour creuser un gouffre que les souvenirs, les regrets, les livres, ne pourront jamais combler. Soit, avançons-nous dans le présent. Avec Pierre Vérité pour guide.

Son marché aux puces et celui que j’ai pu essayer de recréer un instant pour vous, ah ! ça fait deux. Celui de Pierre Vérité, le vôtre probablement, c’est un autre milieu, un morceau du grand monde d’à présent, peuplé de misères, miné par des catastrophes, menaçant, pitoyable, terrible, bizarre, humain sans nul doute, mais comme on l’était du temps de mon enfance, je ne crois pas. Pierre Vérité a parfaitement saisi et souligné ces différences. Inutile de s’appuyer sur le passé. Ce nouveau marché aux puces enfonce ses racines assez profondément dans la vie. C’est un de ces carrefours où se rencontrent des hommes de partout. Pierre Vérité a su être le spectateur patient, discret, acharné, cruel, de ces rencontres ; et, pour chacune d’elles, il a trouvé des titres brefs, violents, il a créé des images précises, mouvementées et étranges.

Celle de « Saint-Ouen-des-Puces » ouvre admirablement la série. Sous un ciel toujours humide et fumeux c’est le chaos des temps nouveaux, une avenue où passent les morts et les vivants, une avenue que les baraques à hommes et à lapins de la zone vont envahir. Ça vous invite à y entreprendre une longue promenade. Croyez m’en, moi qui suis un vieil habitué de cette contrée, Pierre Vérité ne vous montrera que l’essentiel. Il a su dépister les concierges ratées qui viennent ici cancaner, les vieux et les vieilles qui sont « commerçants dans l’âme » et vous présentent des étalages de quatre sous ! S’attarder devant les tireuses de cartes, écouter ceux, ou celles, qui ont besoin de connaître un autre avenir que celui (morne, épouvantable, mais ce n’est pas à raconter !) qui est le leur ; Il a su, également, voir ces constructions hétéroclites, faites de matériaux de démolitions, de tôles, de fer-blanc, qui abritent les hommes et leurs