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ni eux, ni nous, ne connaissions la fin de cette histoire qu’ils jouaient en musique.

Le dimanche, c’était autrement sérieux. Avec les parents, le « dab » et la « dabesse », on allait se balader au marché aux puces. Fallait voir combien c’était beau et champêtre, la zone, pas surpeuplé comme maintenant ! Les habitants du quartier de Clignancourt et ceux des Grandes-Carrières y avaient là leurs petits jardins, qu’ils louaient à l’année. Oui, j’ai raconté ça dans Faubourgs de Paris, mais peut-être est-ce permis d’insister, puisque ces terres aujourd’hui sont mortes, avec leurs lilas, leurs aubépines, leurs cerisiers.

Donc, si on se promenait entre les éventaires des brocanteurs, il y avait un rideau de verdure sur lequel on posait ses yeux fatigués. Pour moi, je ne me sentais jamais ce besoin. J’avais déjà, probablement, certain goût secret des épaves, des explorations mystérieuses. Le vieux marché aux puces ne nous offrait pas alors les mêmes objets qu’aujourd’hui. J’y ai pu suivre comme dans un livre, mieux, les « étapes du progrès » qui devaient nous valoir une ère de prospérité merveilleuse, disait-on. Au temps de mon enfance on admirait de lourds vélocipèdes, des phonos à cylindre, appareils compliqués et délicats que je renonce à décrire ; et les moteurs d’auto faisaient se grouper et discuter de jeunes curieux, enragés de mécanique, qui iraient un jour échouer chez Citroën, les malheureux, et serviraient en esclaves les machines. Certes, par ailleurs, on trouvait ainsi qu’à présent : les vieilles nippes, la vaisselle, les meubles, du petit outillage, les armes rouillées, les décorations miteuses, les diplômes décolorés, et par douzaines ces chefs-d’œuvre de romans comme mes confrères et moi en écrivons ! On trouvait aussi des objets Louis-Philippe, vases exquis, bijoux démodés, bibelots qui, vers les années 1925, ont pu donner des frissons de joie aux snobs et aux bourgeois. On trouvait de tout, sauf le vêtement neuf. On n’en « faisait » pas, du neuf, à cette époque. Le marché était véritablement celui des brocanteurs, les vrais, qui allaient par les rues en criant : « Chiffons ! ferraille à vendre ! » et n’avaient pas encore figuré dans les films et les romans populistes.

Mieux qu’aujourd’hui, à Saint-Ouen, on s’amusait. Je me