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MARCHÉ AUX PUCES

par Eugène DABIT[1]


Depuis des années, autour de moi, c’est comme une conjuration à laquelle les événements et les hommes participent. Je ne fais rien pour y échapper. À quoi bon ! Ça remonte loin, beaucoup trop loin dans mon passé, le souvenir du marché aux puces, de ces foires où se tiennent au long des saisons et des années, sans fin. Dernièrement encore, à Londres, par un brumeux jour de mars, j’ai échoué au Caledonian-Market, une foire énorme, pas très différente de celle de Saint-Ouen. Et, comme si cela ne suffisait pas, j’ai rencontré Pierre Vérité ; j’ai regardé, une à une, longuement, les images de son album.

Vous n’y découvrirez pas, vous qui le feuillèterez, le marché aux puces de mon enfance. Ni Pierre Vérité, ni vous peut-être, ne l’avez connu. Il faut remonter vers les années 1906-1910, et ce semble être déjà une époque abolie.

Ce marché aux puces s’étendait en bordure des « fortifs » où ont poussé depuis, malgré les promesses, les plans grandioses, de mornes maisons ouvrières. C’était fait de buttes, de bastions, de fossés, où nous, les gosses, courions, dévalions, faisions mille tours. Au fond des fossés, des beaux militaires à pantalon garance venaient sonner du clairon et battre du tambour. Nous cessions nos jeux pour les admirer ;

  1. Ces pages sont extraites de Marché aux puces, 35 dessins de Pierre Vérité, texte d’Eugène Dabit, qui paraît en même temps dans la collection Esprit, aux éditions Montaigne.