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Mémoires d’une Danseuse russe

pas perdre un instant de vue le spectacle qu’on me mettait ainsi sous les yeux, si je ne voulais pas être fouettée à mon tour jusqu’au sang.

Je dus tenir mes regards fixés sur le théâtre du châtiment et contempler, spectacle horrible pour une fille, le corps de ma mère abîmé par une cruelle gamine. La joue me cuisait, les larmes qui coulaient de mes yeux obscurcissaient ma vue et je ne voyais qu’indistinctement ce qui se passait devant moi.

Mais si je ne voyais pas, j’entendais les coups assénés brutalement sur la peau meurtrie et les cris qu’arrachait la souffrance à la pauvre victime. Ces sanglots mêlés au bruit sinistre des verges, car elle se servait de verges, en contact avec la chair martyrisée, me déchiraient le cœur, car je n’aimais que ma mère au monde et elle me le rendait bien, la pauvre femme quand on ne nous voyait pas. On n’aimait pas ces sensibleries, l’amour filial, l’amour maternel ! Il est vrai qu’on nous prenait pour moins que des animaux domestiques.

Enfin le brouillard se dissipa. Je vis alors la chair ensanglantée de ma mère. Tout était cramoisi… Que serais-je devenue si on m’avait forcée de faire