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L’ÉDUCATEUR ET L’ŒUVRE HUMAIN

dispenserait de toute étude préalable ; chacun pourrait naître architecte et édifier un monument sans jamais avoir appris à équilibrer le poids des matériaux, chacun se sentirait capable, en se laissant simplement guider par « l’inspiration », d’écrire d’emblée une symphonie… Voilà qui n’eût jamais pu entrer dans l’esprit du père Franck ; son art, résultat de longues études victorieuses de la souffrance créatrice, est tout entier la contre-partie des théories dont je viens de parler.

Et cependant, combien véritablement vivante d’une vie saine et intense est l’œuvre de César Franck ! combien ardemment il sait exprimer les peines et les joies qu’il observe autour de lui ! comme, non seulement il traduit en sa musique la vie et les sentiments des autres, mais comme il s’y exprime lui-même ! — Que nous importe que les personnages des Béatitudes ne se montrent point à nous affublés de vêtements modernes, si nous sommes, nous, hommes modernes, émus jusqu’au fond du cœur par la sublime invocation à la justice éternelle, si nous souffrons nous-mêmes avec les persécutés et si nous voyons transparaître l’âme du maître aimé dans les mélodies qu’il a si tendrement consacrées aux descriptions de la douceur ?

Certes, l’art du père Franck fut tout de bonté