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LUDWIG VAN BEETHOVEN

incapacité d’entendre même distinctement la voix de l’aimée, tout cela devint musique et se traduisit en chefs-d’œuvre.

C’est en avril 1800, au printemps de la trentième année, que, « pour la première fois », l’amour, l’amour passionné étreint, ravit et torture l’âme de Beethoven. Nous avons dit, dans le chapitre précédent, les coquetteries de la petite comtesse Guicciardi, la demande en mariage repoussée (été 1802), et la crise de désespoir qui se traduit par le testament d’Heiligenstadt. Mais un autre testament, musical celui-ci, avait scellé la tombe de ce premier amour : la Sonate, op. 27, en ut dièze mineur.

Cette sonate est la première marque du trouble apporté dans l’esprit de Beethoven par la passion naissante : pour la première fois il exprime sa vie par son art. Et c’est aussi le point initial de cette période troublée dans l’ordre de la composition, que nous avons signalée plus haut. Tout, chez le pauvre grand homme, se détraque, se désagrège… Lui, le croyant, semble avoir envisagé un instant la possibilité du suicide. Lui, l’artiste traditionnel, semble se révolter contre la forme féconde à laquelle il reviendra cependant bientôt et presque exclusivement.

Et c’est la sonate en ré mineur, op. 31, no 2, bien proche du testament d’Heiligenstadt par la date comme par l’intention. Et c’est la sonate en fa mineur, op. 57, composée en 1804, après le mariage de Juliette Guicciardi : terrible cri de détresse et de désespoir, calmé par un regard vers « l’au-delà des étoiles » et se terminant en victorieuse fanfare. Qu’on nous permette d’insister un instant sur cette sonate (dénommée : appas-