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LUDWIG VAN BEETHOVEN

pendant quelque temps, se fixer sur une constante direction. Jusqu’alors, la signification de ses thèmes est restée purement musicale, et lorsqu’il s’intitule « pathétique », le souci de l’arrangement l’emporte sur l’expression, tandis qu’à l’époque où nous nous trouvons, thèmes et disposition semblent procéder d’errements inconnus qui le conduiraient au désordre s’il n’était pas armé, dès l’enfance, d’une éducation solide et saine.

Jusqu’alors il n’a écrit que de la musique, maintenant il écrit de la vie.

Qu’est-il donc advenu pour que se produise chez Beethoven un pareil changement ? Mais simplement ceci : au cours de la trente et unième année, les passions, qui n’avaient fait, pour ainsi dire, qu’effleurer sa prime jeunesse, se sont abattues sur lui et l’ont entraîné dans leur tourbillon.

Il a senti, il a aimé, il a souffert. Et, sans peut-être même en avoir pleine conscience, il s’est vu, en quelque sorte, forcé de fixer en sa musique ses sentiments, ses émotions, ses souffrances. Sa musique laisse, comme à travers une surface transparente, notre regard pénétrer jusqu’au fond de son âme. Il nous dévoile éperdument les trois amours dont cette âme est toute remplie en cette seconde période de sa vie : la femme, la nature, la patrie. Et ces trois amours furent ce qu’ils devaient être chez un aussi puissant génie, véhéments jusqu’à la passion, jusqu’au délire. Que l’on ajoute à ces élans du cœur, l’inquiétude causée par les premières atteintes de l’infirmité qui bientôt lui fermera — peut-être pour le plus grand bien de l’Art — toute communication avec ses semblables, alors, on pourra comprendre l’expansion, l’exubérance de cette seconde manière.