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LUDWIG VAN BEETHOVEN

pas en mesure), remerciait ses troupes « d’avoir déposé sur l’autel de la patrie le fruit de leurs talents ».

Étrange ironie du sort ! La Bataille de Vittoria, ce médiocre pot-pourri des airs de Marlborough, Rule Britannia et God save the King, dont Beethoven disait lui-même qu’ « il n’en donnerait pas deux groschen », allait plus faire pour son succès que toutes ses symphonies !

Au Congrès de Vienne, en 1814, l’archiduc présente son maître à toutes les têtes couronnées. Ce ne sont plus seulement de grandes dames, ce sont des reines et des impératrices qui l’accablent aujourd’hui de cadeaux et de compliments. Il devient populaire. Sa musique figure aux programmes de toutes les sociétés d’étudiants, de tous les orchestres militaires ; des paysannes du Kahlenberg, qui le reconnaissent, lui offrent des cerises au sortir de l’exécution de la VIIe Symphonie. On a repris son Fidelio ; il touche presque à la réalisation de son rêve : la direction de la Chapelle impériale ; il est à l’apogée de la gloire : « Mets seulement comme adresse : Beethoven, à Vienne. Cela suffit », écrit-il à Amenda… Mais en même temps « il se trouve plus seul que jamais dans la grande ville », et il a des pressentiments : « Monseigneur veut m’avoir près de lui, l’art ne me réclame pas moins ; je suis tantôt à Schœnbrünn, tantôt ici. Chaque jour m’arrivent de l’étranger de nouvelles commandes. Mais, même au point de vue de l’Art, je ne puis me défendre d’un certain effarement en face de cette gloire imméritée. Le bonheur court après moi ; aussi, tremblé-je de voir surgir un nouveau malheur ! »