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LUDWIG VAN BEETHOVEN

la frivole et la grave, vous, « chère Cecilia Dorothœa », vous, la dame du Jeglersee, vous, charmante française, Marie Bigot qui, sur le manuscrit de l’Appassiona tout détrempé par l’averse, lisiez pour la première fois ces pages immortelles, vous, Marie Pachler-Koschak, la « déesse de Gratz », passion d’automne que le maître instituait « la vraie gardienne des enfants de son esprit », vous, folle Bettina, et vous enfin, l’inconnue de 1816 dont il guettait le sourire : « Tout à l’heure, quand M… passa, il m’a semblé qu’elle me regardait », il vous a toutes aimées à travers la musique. Si vous ne vous étiez trouvées sur le chemin d’un grand homme, la postérité vous eût sans doute ignorées et vous ne vous disputeriez pas l’honneur d’avoir inspiré ces quelques lignes au crayon, à demi effacées : « Mon ange, mon tout, mon moi… » Cet honneur, la Musique seule le pourrait revendiquer. Si, pour un temps, vous avez illuminé sa vie, vous l’avez fait souffrir aussi : « Qui sème l’amour », écrivait Beethoven, « récolte des larmes. » Ces larmes nous valurent cependant le Beethoven intérieur, le grand Beethoven de la dernière manière.

La cure à Teplitz avait rendu au malade quelques jours de santé et de bonne humeur. Malgré le mauvais état de ses finances (le service de sa pension venait d’être interrompu par le conseil judiciaire du trop magnifique Lobkowitz et à la suite de la mort accidentelle de Kinsky[1]), malgré la difficulté des transactions avec les éditeurs atteints par les conséquences du

  1. L’inventaire officiel de la succession Beethoven et les livres de comptes de la famille Kinsky prouvent que, depuis 1815, les trois pensions furent, quoiqu’on en ait dit, fort régulièrement payées.