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LUDWIG VAN BEETHOVEN

L’épreuve morale était d’autant plus cruelle pour le musicien qu’elle s’ajoutait aux menaces d’une effroyable épreuve physique. Depuis 1796, Beethoven se sentait devenir sourd. À peine osait-il en parler à ses amis Wegeler et Amenda. « Comment alléguer la faiblesse d’un sens qui devrait être chez moi plus parfait que les autres ? » Il avait couru de spécialiste en spécialiste. Tour à tour, Vering, Franck. Schmidt, Bertolini, le Père Weiss lui avaient conseillé des bains froids, des bains tièdes, des vésicatoires, du galvanisme, des injections d’huile ou de thé… Rien n’y faisait. Bientôt il jettera le manche après la cognée : « Inutile de dissimuler désormais, tout le monde le sait ; les artistes eux-mêmes s’en sont aperçus. » Et on ne le verra plus que le cornet à la main.

Aujourd’hui, il sent plus durement sa misère, son isolement. Il va se cacher à Heiligenstadt, il veut mourir ; il écrit ce « testament » lamentable et romantique qu’on a un peu trop cité : « Comme les feuilles de l’automne tombent et se flétrissent, ainsi — ainsi l’espérance s’est desséchée pour moi ! » Ne croirait-on pas le voir dans l’attitude que lui a prêtée le peintre Mahler : l’air fatal, la main gauche posée sur une lyre, l’autre esquissant un rythme, et, comme fond de tableau, un temple d’Apollon ?…

Pauvre Beethoven ! Il te faudra souffrir beaucoup encore avant de « devenir philosophe » comme tu crois l’être. D’ailleurs, peut-on rester insensible au déchirement de son pays ? Voici le bruit des fanfares et des chevauchées ; les troupes défilent, le canon tonne dans la vallée du Danube. C’est encore l’invasion française et, le soir, au cabaret, avec les amis Breuning et