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LUDWIG VAN BEETHOVEN

en être autrement ? Beethoven pouvait-il dédier à un autre qu’à lui-même cette expression en musique d’une convulsion intime de sa vie ? Triomphant à ce moment des premières atteintes de la maladie à laquelle il devait succomber six ans plus tard, triomphant également, par le gain récent d’un procès, de tristes soucis de famille, souffrances pires pour lui que la maladie même, exultant en la sereine joie du travail sur la Messe, il voulut transcrire en musique le drame moral dont il venait d’être le principal acteur. Quatre ans plus tard, il donnera un complément de même nature à cette sonate : le XVe quatuor. Mais, tandis que le quatuor n’est, presque tout entier, qu’un religieux élan de reconnaissance envers Dieu, vainqueur du Mal, la sonate, elle, nous place en pleine crise : c’est comme un âpre et terrible combat contre ce Mal, principe d’anéantissement, puis un retour à la vie que célèbre un hymne de joie triomphal. On pourrait comparer cette œuvre à l’op. 57, bâtie à peu près sur le même plan ; mais dans la sonate en la bémol qui nous occupe, la remontée vers la lumière est traitée de façon bien plus émue et plus dramatique.

Au début du premier mouvement, Beethoven présente comme deuxième élément de l’idée initiale le thème de Haydn qu’il a traité si souvent. Et ici, ce thème, dernier hommage du maître vieillissant à celui qui a guidé ses premiers pas dans la composition, nous apparaît comme une image de la santé morale et physique ; aussi l’indication : con amabilità nous instruit-elle de la façon dont il importe de l’interpréter. Après un scherzo qui tranche déjà par son caractère d’inquiétude sur le calme aimable du premier mouvement, un